Comment répondre au défi de l’autosuffisance alimentaire dans les territoires insulaires ? Une table ronde s’est penchée sur la question vendredi au Tech4islands Summit. Ils étaient cinq sur la scène pour échanger sur le sujet.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon l’Ademe, le taux de dépendance alimentaire réel aux importations est de 76%. Pas moins de 86% de la volaille importée provient d’Amérique du nord, 98% des céréales et 55% des fruits et légumes de la zone Océanie, 82% du porc de l’Hexagone et de l’Europe. Il est à noter que 152 051 tonnes des importations sont à destination de l’alimentation humaine, 22 926 tonnes sont pour l’alimentation animale et 1 809 tonnes sont des engrais. Or, l’autonomie alimentaire passe aussi par l’autonomie en engrais et nourriture pour les animaux.
La table ronde « Comment répondre au défi de l’autosuffisance alimentaire dans les territoires insulaires ? » a donné la parole à Thomas Moutame, président de la Chambre de l’agriculture et de la pêche lagonaire (CAPL), Marion Schuppe directrice d’investissement chez Makesense, Marotea Vitrac porteur de projet et président de syndicats professionnels, Arii-Nui Prout de Technival et Jason Man Sang, militant écologiste et formateur en agro-écologie et permaculture. Il ressort des échanges que réduire drastiquement la dépendance aux importations est possible. Cela passera par une volonté partagée des acteurs, producteurs, consommateurs, par une augmentation et une optimisation de la production, par l’éducation et une évolution dans la composition des assiettes locales. La transition alimentaire est l’affaire de tous.
L’édition 2022 de la Foire agricole qui s’est tenue du 29 septembre au 9 octobre a fièrement arboré une thématique 100% locale. Les sodas et jus de fruits, le riz et autres produits importés ont été tout simplement interdits. « Certains visiteurs ou exposants n’ont pas compris sur le moment », rapporte Thomas Moutame, « ils ont quand même fini par s’y faire, remplaçant le riz par les tubercules du territoire par exemple ». Jason Man sang a raconté une expérience qu’il a menée il y a quelques mois. « J’ai mangé pendant un mois 100% local. Je n’ai pas perdu de poids et pu varier l’alimentation, c’est donc possible ! »
Pour tendre vers l’autonomie, Jason Man Sang a insisté sur l’éducation. « J’interviens dans les écoles et je suis effaré de constater que des enfants s’imaginent que les pommes poussent en Polynésie ! Il y a une véritable acculturation de notre alimentation. » Un changement des choix alimentaires s’impose. Il faudra privilégier les produits du territoire, « mais aussi réduire notre consommation de viande. L’urgence climatique, au-delà de la transition alimentaire, nous l’impose ! »
Marotea Vitrac, saluant les initiatives, a toutefois soulevé le problème du passage à l’échelle. « C’est une chose de manger 100% local à titre individuel, une autre de proposer des menus 100% local à toutes les cantines du territoire ». Comment proposer une offre à 250 000 habitants ou encore préparer chaque jour 60 000 repas locaux pour les seuls scolaires ?
La production est à organiser et à développer. Les compétences dans ce secteur devront encore monter. « Il est indispensable de développer également l’agro-transformation dans un souci d’optimisation et de réduction du gaspillage », a ajouté Thomas Moutame. Les investisseurs répondent présents. « Il faudra rendre sexy les produits polynésiens, l’entreprenariat et le métier d’agriculteur pour faire émerger des projets à accompagner », a confirmé Marion Schuppe.
Côté alimentation animale et intrants, « il faut s’interroger » a insisté Arii-Nui Prout. Une entreprise comme Technival qui fabrique du compost à partir de déchets verts est un modèle à suivre. « Nous avons l’ambition de valoriser les 1 700 tonnes annuels de déchets de poisson du port de pêche de Papeete. Pour l’instant, on paye quelqu’un pour aller les jeter au large » a rappelé Thomas Moutame non sans regret. La transition est en marche. Producteurs, pouvoirs publics, consommateurs font mieux, il reste du chemin à parcourir pour qu’il fasse bien.
Crédit photo : Delphine Barrais.